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    Causerie

    Cette fin de siècle n'aura pas manqué d'être très profitable à MM. les graveurs ; ils nous ont donné — et si nous employons cette expression c'est une simple façon de parler — il nous ont « donné » donc successivement, et à peu d'intervalle, la nouvelle monnaie de billon, les pièces divisionnaires d'argent, les fameuses rotynettes, puis la pièce de vingt francs au coq.

    Ceux qui courent après la pièce de cent sous sont priés de patienter, le nouveau modèle exigeant encore quelques retouches qui vont retarder forcément sa mise en circulation, mais ils s'en consoleront en apprenant que l'administration de la Monnaie vient de procéder aux essais de la nouvelle pièce de dix francs, plus communément désignée dans un certain monde, ne nous demandez pas pourquoi, sous le nom de « louis du voyageur ».

    Ces essais, hâtons-nous de le dire, ont été des plus satisfaisants, le dépôt des coins du nouveau type a été fait, et il ne nous reste plus qu'à attendre la promulgation du décret qui rendra ce type légal, ce qui ne saurait tarder. Nous attendons.

    Ce n'est pas tout. La Banque de France, désireuse, elle aussi, de nous faire part de ses largesses, vient de recevoir du peintre Luc-Olivier Merson le modèle du nouveau billet de cent francs qu'elle a commandé à l'éminent artiste. Si nous en croyons les gens bien informés, ce modèle n'est pas moins réussi que celui des pièces sonnantes et trébuchantes dont nous venons de parler ; il est d'un travail fort délicat et les amateurs — ils sont nombreux — attendent avec une légitime impatience le moment où il leur sera permis d'enrichir leur collection du plus grand nombre possible de ces très intéressantes vignettes.

    Et c'est ici le cas ou jamais de rééditer le mot d'Henri Murger, le célèbre auteur de la Vie de Bohème. Il ne roula jamais sur l'or, le brave Murger, non plus que sur les billets de la Banque de France, ayant toujours été en froid, disait-il, avec le directeur de ce dernier établissement.

    On venait de faire l'émission d'un nouveau modèle de ces précieux papiers, et comme on lui demandait s'il les avait vus :

    Non, répondit-il philosophiquement, mais j’en ai entendu parler, on dit qu'ils sont bleus.

    Il en vit bien quelques-uns plus tard, grâce au succès de son meilleur ouvrage, mais ce ne fut pas de longue durée et il ne les laissa pas moisir, comme on dit, dans son portefeuille, en bohème impénitent qu’il fut jusqu'à son dernier jour.

    Ce n'est pas lui, ce brave Murger, qui se fût expatrié comme ces hardis pionniers qui, de tous les coins du monde, se sont rués en ces derniers temps, Jasons modernes, à la conquête de la toison d'or. Il aimait trop les douceurs de la flânerie et ne travaillait qu'à ses heures, et ses heures étaient plutôt rares. Un ami lui ayant fait observer qu'il avait le travail par trop irrégulier, il se contenta de répondre :

    Que voulez-vous? Il y a des années où l’on n'est pas en train.

    Tout Murger est dans cette réponse, et elle le dépeint à merveille.

    Nous venons de parler des chercheurs d'or. Tout n'est pas rose non plus pour ces aventuriers qui s'en vont au bout du monde à la poursuite de la fortune. Un de nos confrères racontait ces jours-ci l'odyssée d'un de ses vieux camarades qui, après avoir commencé son droit et sa médecine, et tâté ensuite, sans le moindre succès, du commerce et de l'industrie, réalisait naguère son modeste patrimoine et partait pour le Transvaal.

    Arrivé à Johannesburg il eut bientôt écorné fortement son petit pécule, la vie étant hors de prix dans ce pays-là. L'or y abonde, mais il faut l'extraire des entrailles du sol, et comme le dur métier de mineur ne convenait pas du tout à son tempérament, il avait épuisé ses dernières ressources sans avoir trouvé la moindre pépite.

    Aussi dut-il, pour se tirer d'affaire, endosser la livrée de domestique. Il put ainsi réaliser en peu de temps une petite somme, après quoi il s'empressa de prendre le premier paquebot en partance et de revenir en France, n'ayant pas tout à fait autant d'argent qu'à son départ.

    Mais du moins a-t-il pu revenir, plus heureux en cela que bien des gens qui se sont rendus au Klondyke. Tout récemment deux cents chercheurs d'or ont succombé dans cet exquis eldorado ; vingt-cinq y sont morts du scorbut, une cinquantaine se sont noyés dans la traversée d'un lac, dix sont morts de froid, et les autres ont succombé aux suites des privations ou se sont suicidés. Ce qui, du reste, n'empêche pas l’affluence des immigrants de persister. Auri sacra fames! disaient les anciens.

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